Est-ce vrai que l’Europe, sans les Juifs, ne serait plus l’Europe?

Est-ce vrai que l’Europe, sans les Juifs, ne serait plus l’Europe?

Au cours de ces tous derniers mois, un grand nombre d’hommes politiques européens de première importance ont déclaré à quel point il est important que les Juifs continuent de résider dans leurs divers pays. Les dirigeants de gouvernement affirment aussi qu’ils feront l’impossible pour protéger leurs Communautés Juives contre la tendance en augmentation des agressions antisémites.

La raison de ces déclarations  découle d’un certain nombre de facteurs. Le plus fondamental est lié à l’élévation du nombre d’attentats meurtriers contre les Juifs, perpétrés par des Musulmans d’Europe. Les plus récents sont les meurtres qui ont eu lieu à Bruxelles, Paris et Copenhague. A ceux-là, on peut ajouter les autres types d’actes de violence antisémite, la plupart commis par des Musulmans, comme les attaques de synagogues et de boutiques en France, l’été dernier.

Cela dit, un autre facteur à prendre en compte, et qui motive cette rhétorique, c’est l’augmentation de l’émigration bien réelle des Juifs européens, principalement de France, conjuguée à la manifestation d’un intérêt croissant pour les rencontres avec des responsables israéliens de l’Aliyah[1]. D’autre part, le débat prévalent, qui consiste à savoir si, oui ou non, les Juifs ont encore un avenir en Europe, devient une préoccupation constante. Et, au bout du compte, diverses personnalités israéliennes, dont le Premier Ministre Binyamin Netanyahu, lancent des appels en affirmant qu’Israël est bien le foyer naturel des Juifs d’Europe[2].

Le Premier Ministre français Manuel Valls a été le plus virulent, parmi les dirigeants européens, à manifester que les Juifs doivent demeurer en Europe. Le cineaste juif Claude Lanzmann, a écrit un article intitulé : “La France sans les Juifs ne serait plus la France[3]”, auquel Valls a fait référence, le jour suivant, dans le cadre d’un discours vibrant devant l’Assemblée Nationale. Valls a déclaré : “Claude Lanzmann a écrit un merveilleux article dans Le Monde, oui, dites-le à la face du monde, une France sans les Juifs ne serait plus la France[4]”. Dans son son discours, Valls faisait aussi référence aux déclarations de la Ministre française Ségolène Royale. Elle a exprimé le même sentiment, lorsqu’elle a assisté à l’enterrement, à Jérusalem, des quatre Juifs assassinés au supermarché HyperCacher à Paris[5]. Le Président François Hollande a déclaré : “Les Juifs ont toute leur place en Europe, et en France en particulier. C’est à nous d’assurer à tous les Juifs de France, et plus largement, à tous les citoyens français, sécurité, respect, reconnaissance et dignité[6]”.

Un observateur averti peut remarquer qu’il manque un aveu de poids dans toutes ses déclarations : “La France n’est plus la France, depuis qu’elle a laissé entrer, sans procéder à la moindre sélection des candidats, des millions de Musulmans provenant de pays où l’antisémitisme est très répandu”. Cela comprend des immigrés d’Algérie, où 87% des sondés par l’ADL ont exprimé des opinions antisémites, de Tunisie, où 86% des interrogés déclarent avoir un point de vue antisémite et du Maroc, où 80% du public sondé est antisémite[7]. Une des réactions à cette immigration mususmane de masse conduit au fait que le Front National, de droite radicale, devient le parti dominant en France, en matière d’intentions de vote, selon de nombreux sondages actuels[8]. Lors du premier tour des élections départementales de mars, il n’est, cependant, arrivé que second, derrière le parti conservateur UMP de l’ancien Président Nicolas Sarkozy[9].

Il existe un second point d’attention auquel un observateur se doit d’être sensible. De manière hypothétique, même si la communauté juive toute entière devait quitter la France, quel genre d’impact est-ce que cela aurait vraiment sur la société française? Les postes et fonctions des candidats au départ : juristes, médecins, journalistes, hommes politiques et philosophes, commerçants, artistes et ainsi de suite, seraient repris et occupés assez rapidement. Nous avons assisté à des précédents, dans des conditions extrêmes, d’un tel phénomène en Europe, au cours de l’occupation allemande, où de nombreux Juifs ont, tout d’abord, été chassés de leur emploi.

Cela dit, un tel départ massif de Juifs aurait un énorme impact symbolique sur l’image de la France ou de tout autre pays concerné. En janvier, Valls a fait savoir aux journalistes que la France est un Etat où règne “Un Apartheid territorial, social et ethnique[10]”. Le départ de nombreux Juifs ajouterait une dimension supplémentaire au caractère de démocratie républicaine en faillite.

La Chancelière allemande Angela Merkel s’est aussi exprimée sur le sujet, en disant : “Nous sommes heureux et reconnaissants du fait qu’il puisse à nouveau y avoir une vie juive en Allemagne, et nous aimerions continuer à bien vivre tous ensemble avec les Juifs qui vivent aujourd’hui en Allemagne[11]”. L’importance psychologique de la présence juive en Allemagne –constituée essentiellement d’immigrés de Russie – est encore bien plus importante pour l’Allemagne que pour la France, même si elle représente un pourcentage bien moins grand de la population générale. Au regard du passé nazi de l’Allemagne, la présence des Juifs conforte l’amélioration de son image de marque, démontrant que l’Allemagne n’est pas seulement différente par la nature de son régime, mais qu’elle une saine démocratie.

Le Ministre autrichien des affaires étrangères, Sebastian Kurz a affirmé que la communauté juive d’Autriche devrait augmenter. “Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour garantir leur sécurité, de telle sorte que les Juifs ne soient pas contraints d’émigrer. L’Europe sans les Juifs n’est pas l’Europe[12]”.Madame le Premier Ministre danois, Helle Thorning-Schmidt a déclaré, à la suite de l’attaque terroriste meurtrière devant une Synagogue de Copenhague, que “La communauté juive vit dans ce pays depuis des siècles. Elle appartient au Danemark, elle fait partie de la communauté danoise et nous ne serions plus les mêmes sans la communauté juive du Danemark[13]”.

Le Premier Ministre britannique, David Cameron s’est limité à dire que les Anglais devaient être “extrêmement vigilants” et de remarquer, sur l’instauration de mesures sécuritaires renforcées, que : “ces mesures ont été prises à cause de ce qui s’est produit à Paris et à cause de la situation que nous rencontrons en général[14]”.

Plusieurs de ces déclarations des dirigeants européens ont, surtout, été une réaction directe à l’appel de Netanyahu aux Juifs européens, afin qu’ils immigrent en Israël, dans sa réponse à la série d’attaques antisémites en France. Nentayahu a dit : “On peut s’attendre à ce que cette vague d’attaques terroristes se poursuive”, autant sous forme d’antisémitisme que d’attentats meurtriers. Nous disons aux Juifs, à nos soeurs et à nos frères : Israël est votre foyer et celui de tout Juif. Israël vous attend, les bras ouverts[15]”.

On peut se demander s’il était avisé de la part du Premier Ministre israélien de faire une telle déclaration. Certains Israéliens et Juifs pensent que les Juifs doivent venir en Israël par amour pour le pays, plutôt que par peur de rester là où ils vivent actuellement. Cela résonne comme une réponse très politiquement correcte, mais en réalité, la grande majorité des immigrants juifs, tout au long de l’histoire d’Israël, appartiennent à cette seconde catégorie. Une fois cela dit, Israël ne devrait pas contribuer à rendre la vie encore plus inconfortable aux nombreux Juifs résidant en Europe. Cela devrait être suffisant de dire que ceux d’entre les Juifs qui veulent monter en Israël sont les bienvenus.

Divers dirigeants juifs ont déclaré que les membres de leur communauté n’avaient pas l’intention de faire l’Aliyah et que leur place naturelle se trouve là où ils vivent actuellement. C’est assez largement vrai, puisque, quelle que soit l’importance de cette émigration, en ce qui concerne les chiffres, elle ne s’applique qu’à un faible pourcentage des populations juives locales[16].

L’Europe d’aujourd’hui est bien loin d’être comme l’Allemagne de la Nuit de Cristal (Kristallnacht ) de 1938. A cette époque, le gouvernement était à l’origine de la violence antisémite. Les gouvernements actuels veulent empêcher la violence antisémite, mais, malheureusement ils ne s’avèrent capables de le faire que dans une certaine mesure. Si ces agressions – et, en particulier, les assassinats- devaient continuer d’augmenter, le départ des Juifs d’Europe serait encore assez loin de correspondre à un exode massif, même si le nombre de ceux qui choisissent de partir était bien plus important que les configurations qu’on constate déjà, à présent. Dans le même temps, ces remarques des dirigeants européens sont les bienvenues, malgré le fait qu’elles ne soient, pour la plupart, que de purs exercices de rhétorique.

Par Manfred Gerstenfeld

Le Dr. Manfred Gerstenfeld est membre du Conseil d’Administration du Centre des Affaires Publiques de Jérusalem, qu’il a présidé pendant 12 ans. Il a publié plus de 20 ouvrages. Plusieurs d’entre eux traitent d’anti-israélisme et d’antisémitisme.

Adaptation : Marc Brzustowski.

[1] Sam Sokol and Herb Keinon, “Sharansky to ‘Post’: 50,000 French Jews inquired about aliya in 2014,” The Jerusalem Post, 6 January 2015.

[2] Peter Beaumont, “Leaders reject Netanyahu calls for Jewish mass migration to Israel,” The Guardian, 16 February 2015.

[3] Claude Lanzmann: “Oui, la France sans les juifs n’est pas la France,” Le Monde, 12 January 2015. [French]

[4] “Discours de Manuel Valls à l’Assemblée nationale en hommage aux victimes des attentats,” Gouvernement.fr, 13 January 2015. [French]

[5]  Ségolène Royal,  » La France sans les juifs de France n’est pas la France », LCP: Assemblée Nationale, 13 January 2015. [French]

[6] « Face aux propos de Nétanyahou, les chefs d’Etat européens rassurent la communauté juive, » Le Monde, 16 February 2015. [French]

[7] ADL Global 100, Anti-Defamation League, 2014.

[8] Zachary Davies Boren, “France’s National Front: Marine Le Pen’s far-right party is leading in the polls ahead of next month’s local elections,” The Independent, 23 February 2015.

[9] “France local elections Conservatives hold off National Front,” BBC News, 23 March 2015.

[10] “Manuel Valls évoque ‘un apartheid territorial, social, ethnique’ en France,” Le Monde, 20 January 2015. [French]

[11] Peter Beaumont, “Leaders reject Netanyahu calls for Jewish mass migration to Israel,” The Guardian, 16 February 2015.

[12] “Face aux propos de Nétanyahou, les chefs d’Etat européens rassurent la communauté juive,” Le Monde, 16 February 2015. [French]

[13] Shyrin Ghermezian, “Prime Minister Thorning-Schmidt Says Danish Jews ‘Belong in Denmark’,” the Allgemeiner 16 February 2015.

[14] AFP, “Security for UK Jews to be tightened says Cameron,” Ynet, 17 January 2015.

[15] Peter Beaumont, “Leaders reject Netanyahu calls for Jewish mass migration to Israel,” The Guardian, 16 February 2015.

[16] “Danish Jews: ‘It won’t be terror that makes us go to Israel’,” The Jerusalem Post, 16 February 2015.

Comments are closed.